Un soldat qui monte en ligne n’est pas quelqu’un qui va travailler et quitte son domicile, où il laisse beaucoup de choses, parce qu’il sait qu’il va les retrouver le soir. Lorsqu’il va au feu, le poilu garde tout dans son barda. En limitant le poids parce qu’il va falloir le porter. Les marches, parfois forcées, sont souvent bien longues. On y trouve si possible rangé à l’abri de l’humidité, carnets, crayons, vêtements, photos de proches, le reste des colis reçus, provisions réglementaires, pulls over et gants tricotés par la femme ou par la marraine.
Les cahiers sont en général épais, on recopie les chansons à la mode, les paroles entendues lors d’un des spectacles montés par et pour les poilus, les textes que l’on invente soi-même ou avec les copains. Les chansons des cahiers, qui ne sont pas faites avec l’idée qu’on lira dans les ministères, sont souvent plus fortes et sauvages. Et on en trouve de toutes faites dans les canards des tranchées ; certains bataillons sont plus créatifs : leurs cahiers ne contiennent pratiquement que des textes créés. Cependant méfions-nous des méprises : dans la plupart des recueils manuscrits que nous connaissons figurent la mention « maintes fois répété », « fait le », ou « fini le », qu’il faut en réalité le plus souvent traduire par : « recopié le… », ou « fini de recopier le…. » et sur des journaux de chansons compilant textes de professionnels et amateurs on note régulièrement ses mots au crayon « A copier » ou « A recopier ».
Ce n’est pas tout à fait nouveau : le principe du cahier est ancien. Les cahiers de conscrits jalonnent leur service militaire de tout ce qu’ils entendent, répertoire classique du régiment, chants à la mode, hymnes ou couplets composés pour le jour tant attendu de la quille…
Les sujets utilisés pour les textes créés entrent, si on veut bien excepter les morceaux de circonstances proprement militaires, dans trois catégories, différenciés par le ton employé : les tranches de vie, les dissertations, les cris de folie. Entre copie, recopie, texte personnel, les carnets circulent.
Les classifications suivantes ont été réalisées par Claude Ribouillault, collectionneur et historien, dans son livre « la musique au fusil »
(RIBOUILLAULT Claude : La musique au Fusil, Rodez : Editions du Rouergue, 1996)
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Les tranches de vies :
Récits, dialogues, impressions, ces textes sont rédigés très souvent à la première personne (je et surtout nous ; les poilus), celle du récit, avec de nombreuses adresses à la seconde personne (tu, vous), ce qui confère un ton naturel, quotidien, sans chichi. Quelquefois le ton est antimilitariste. A ce genre appartiennent des chansons héritées de la Belle époque, au ton anarchisant. On trouve aussi, plus souvent que des récits, des descriptions des conditions de vie, simplement dites, poétiques ou engagées. Comme la fameuse chanson de Craonne. D’autres chansons sur les poux, les puces, les rats… sont anecdotiques. Certaines chansons sont martiales.
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Les dissertations:
Parfois rédigé à la première personne – mais cette fois-ci c’est le « je » discours- en général à la troisième personne (il(s) – attention, « on », comme dans le langage parlé, l’équivalent de « nous » et se rattache de première catégorie – ce sont des analyses du conflit, d’une bataille, du quotidien, de l’arrière. Quand on y trouve des récits, par bribes, c’est pour étayer une argumentation. L’imagination travaille alors sur le terrain de l’alternative ou du théâtral.
La tonalité est toujours clairement énoncée : révoltée, antimilitariste, simplement satirique (sur les embusqués, le barda), enfin patriotique pour la majorité des créations.
Lettre d’un socialo
Montéhus sur l’air du Clairon
Mis en musique en 2008 par le groupe Tichot dans l’album « Une vie de Bonhomme »
Le premier choc fut terrible La mêlée indescriptible On s’est battu comme des fous J’ai, pour ma première bataille Reçu une belle entaille Mais je suis resté debout Moi qui détestais la guerre Car je suis humanitaire J’ pouvais pas en croire mes yeux Sans vouloir jouer à l’apôtre C’est moi qu’entrainais les autres Oui, j’étais le plus furieux C’est pour notre indépendance Que l’on marche sans défaillance Comme si c’était le grand soir Que l’on soit syndicaliste Anarcho, ou socialiste Tout chacun fait son devoir Certes, cela est pénible Quand on a le cœur sensible De voir tomber les copains Mais quand on est sous les armes On n’ doit pas verser de larmes On accepte le destin |
Les Allemands sont très solides Dire le contraire est stupide C’est un ennemi sérieux Avant d’avoir la victoire Il faut s’apprêter à boire Et même à trinquer un peu Certes, il faut de la vaillance Mais il faut de la patience Même blessé tenir bon Être dur, être tenace Être enfin de notre race De la race des Danton Ce qu’il faut : pas de critique Encore moins de politique Qu’on dise à monsieur Gervais Qu’il garde pour lui son histoire Nous gardons pour nous la gloire À nous battre en bons Français Qu’il sache que, dans la fournaise Nous chantons « La Marseillaise » Car dans ces terribles jours On laisse « L’Internationale » Pour la victoire finale On la chantera au retour |
Certaines chansons ont des couplets « dissertation » et un refrain « tranche de vie » ; pour d’autres c’est l’inverse, ce qui rend caduque, encore une fois, toute classification trop rigide.
Le Testament du Fantassin
Paroles du soldat Paul Verlet – dans un recueil intitulé « De la boue sous le ciel ».
Mis en musique en 2008 par le groupe Tichot dans l’album « Une vie de Bonhomme »
Si je meurs, mes amis d’espoir et de misère, Vous m’ensevelirez sans cercueil dans la terre. Que m’importe le coin ! Face aux fils barbelés, Dans le trou d’obus neuf, marneux, roussi, pelé, Sous un peu d’herbe verte, ou dans notre tranchée, Sous le tronc qui bénit de sa branche arrachée, Sous le cheval crevé, sous le clocher flambé, Mais gardez-moi le sol où je serai tombé ; Fos yeux se mouilleront et vos mains maternelles Auront des gestes doux pour me remplacer celles De ma mère dont les amours me manqueront. Et vous disposerez mes cheveux sur mon front, Vos mots d’adieu seront la chaleur qui dorlote. Et vous boutonnerez sur mon sang ma capote, Vous croiserez mes doigts, que je parte plus beau, Comme un chrétien paisible, au seuil du grand repos. Vous me couvrirez bien de terre parfumée, De celle d’où je viens et que j’ai tant aimée ; Vous l’épandrez sur moi comme un velours de Mort… Son âme épousera la forme de mon corps, |
Et, fier de mes vingt ans engrenés dans la glaise, Je pourrirai content dans ma terre française ; Puis, sur mon tertre nu, vous mettrez une croix. Vous prierez coude à coude une suprême fois ; Vous trouverez la plus sublime des prières, Et mon tombeau sera plus grand qu’un cimetière ; Vos gros doigts, en tremblant, rangeront mon massif. Gravé par vos couteaux, d’ornements très naïfs Enjolivé, mon nom vivra sur une branche, Roi d’un palais d’éclats d’obus, de pierres blanches. Sur le sol éventré, s’il sourit une fleur Ou deux, portez-les moi ! Je préfère qu’un cœur De mes soldats me garde un peu d’amour qui veille. Vous écrirez mon âge aussi dans la bouteille… Quand, vainqueurs, vous aurez retrouvé votre seuil, Dites, songeant à moi sans retour, sans cercueil, Ces simples mots qui sont d’immortelle semence : « C’était un brave gars. Il est mort pour la France! » |
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Les cris de folies
Les sujets restent les mêmes : le quotidien au front, à l’arrière, rancœurs, soucis matériels, … mais là, quel que soit le narrateur ou l’auteur du discours, on ne se prend pas au sérieux. Les textes fleurent bon le défoulement : le goût séculaire des fatrasies, des récits absurdes, des jeux de mots, permettent d’échapper, sans qu’il soit besoin de grandiloquentes justifications psychologiques, à la réalité, même si l’on garde le vécu comme point de départ.
Le manque de femmes suscite au certains défoulements qu’on peut qualifier de licencieux. Encore que le second degré, et les sous-entendus, si cher à la tradition orale, soient de mise.
La guerre, par le secret du chant, est bien loin, comme évacué par l’usage d’une magie (…).les marches, les chansons de routes typiques de l’armée, les chansons du domaine de la manœuvre sont depuis longtemps récupérées par les soldats. La chanson populaire qui manifeste au travers d’un répertoire ancien : Auprès de ma blonde, Trois jeunes tambours, Cadet Roussel, etc.
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Sur l’air de :
A ce propos, l’idée d’utiliser des airs à la mode n’est pas nouvelle, et marque la préséance du répertoire urbain : Sous les ponts de Paris, La Tonkinoise, la Madelon, les succès de Bruant, etc.
Mais on trouve également des airs plus anciens : Le temps des cerises, Au clair de la lune, Sur le pont d’Avignon, par exemple. Pas ou très peu de traces du répertoire rural, c’est un fait.
Toutes ces chansons « Sur l’air de » forment une série de témoignages qui, classés chronologiquement, permettent de retrouver les différentes étapes du conflit. C’est un itinéraire en raccourci, parfois cocasse, parfois émouvant, où les réalités apparaissent par petites touches et reconstituent un paysage humain, une somme de destinées…
« Je vous écris cher’maman »
Théodore Botrel – Sur un air d’Aristide Bruant
Je vous écris, ma chèr’ maman, Ma chèr’ maman, Durant que, pour un bon moment, Un bon moment, Notre section est bien cachée Dans la tranchée ! Tous pas bileux, tous bons copains, Tous bons copains On est là, comm’ des p’tits lapins Des p’tits lapins Face aux Puscots toute un’ nichée Dans la tranchée ! C’est vraiment le p’tit trou pas cher ; P’tit trou pas cher, Y’a pas à dir’, c’est « la grande air », C’est « la grande air », Quoiqu’ la vue soit un peu bouchée Dans la tranchée ! Mais par l’orchestr’ d’un casino, Par les tzigan’s ou le piano On n’a pas l’oreille écorchée Dans la tranchée ! 5. Nos « 75 », nos « Rimailhos » Nous berçant à leurs trémolos, On rêv’ à la Franc’ revanchée Dans la tranchée ! |
6. Dès qu’apparaît le quart seul’ment De la moité d’un’ gu… d’Allemand, Nous la rentrons, très amochée, Dans la tranchée ! 7. Alors commenc’nt, sempiternels, Les arrosag’s de leurs schrapnels : La terre en est toute jonchée Dans la tranchée ! 8. Nous rigolons dans nos clapiers : « Quell’ collection de press’-papiers, Pour le retour, sera pêchée, Dans la tranchée ! 9. L’un d’nous est mort – et mort joyeux – En s’écriant : « Tout est au mieux, Voilà ma tomb’ toute piochée : Dans la tranchée ! » 10. Le sergent – qu’est curé – lui dit : « Repose en paix, héros béni Sur qui la Gloire s’est penchée Dans la tranchée ! » 11. Nous te veng’rons, nous l’jurons tous, Car la victoire est avec nous : Elle mont’ la gard’, près d’nous couchée Dans la tranchée ! |
Choisis Lison
Louis Bousquet
Mis en musique en 2008 par le groupe Tichot dans l’album « Une vie de Bonhomme »
Quand, au printemps, la feuille pousse Un doux zéphyr vient nous charmer Et de ses lois c’est la plus douce Qui dit au cœur « Il faut aimer » Si Cupidon frappe à ta porte Belle Lison, ne rougis pas C’est du bonheur qu’il nous apporte Sans un regret, tends-lui les bras Un beau brun te plaît-il ? En voilà C’est un blond que tu veux ? Il est là As-tu rêvé d’être l’épouse D’un gars du Nord aux yeux d’azur ? Veux-tu devenir l’Andalouse D’un montagnard basque au pied sûr ? Préfères-tu d’un franc gavroche Le fin sourire et le bagout ? Du défilé bien vite approche Tu trouveras selon ton goût Un beau brun te plaît-il ? En voilà C’est un blond que tu veux ? Il est là Ils ont cent fois risqué leur vie Sous la mitraille sans émoi Et de te voir toute jolie Ils sont timides devant toi Si tu restais indifférente Ô Lison, tu ne serais pas De cette race si vaillante Qui donne de pareils soldats Un beau brun te plaît-il ? En voilà C’est un blond que tu veux ? Il est là Ces trois couplets sont entrecoupés de refrains tels que ceux ci-dessous variant selon l’interprète V’là les Poilus V’là les Poilus Calmes et fiers Toujours vaillants Et résolus Choisis celui qui te plaira Choisis, Lison et si tu l’aimes, il t’aimera V’là les Poilus V’là les Poilus Ceux de Verdun Ceux de La Marne Ceux des Hurlus Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera |
V’là les Poilus V’là les bonhommes Ceux de La Fosse Ceux de Pessy Ceux de Craonne Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera V’là les Poilus Pauvres soldats Ceux de l’Yser Ceux de Lorraine Ceux de l’Artois Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera V’là les Poilus V’là les bonhommes Ceux de Baumont Ceux de Verdun Ceux de l’Argonne Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera V’là les Poilus V’là les bonhommes Ceux de la Marne Ceux de Vimy Ceux de la Somme Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera V’là les bonhommmes V’là les Poilus Ceux de l’Yser Ceux de Verdun Ceux des Hurlus Choisis celui qui te plaira Choisis Lison et si tu l’aimes, il t’aimera |