Par Jean-Marie Schreuer
Extrait du mémoire
« La procession paroissiale de Barchon, village entre la Basse-Meuse et le Pays de Herve
Un patrimoine culturel immatériel en danger ? »
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Procession et pèlerinage
Quand on pense à une marche en dehors de l’église, on songe d’abord aux pèlerinages, qui ont marqué le Christianisme depuis son origine :
« Le christianisme est marqué par plus de 2000 ans d’itinérance pèlerine, formidable aventure spirituelle qui perdure de nos jours, malgré la sécularisation apparente du monde moderne[1] ».
On peut aussi songer au pèlerinage à La Mecque, un des cinq piliers de l’Islam, qui a d’ailleurs succédé à un pèlerinage préislamique que les Arabes, païens ou chrétiens, faisaient[2]. Et, bien avant le Christianisme, on peut également songer aux pèlerins des mondes égyptien, grec ou romain comme à ceux de l’Inde qui, déjà en 6.000 av. J.-C., se rendaient dans des lieux qui deviendront des sanctuaires, des grottes par exemple. On peut ainsi, en quelque sorte, remonter à la nuit des temps en trouvant des traces de ce type de tradition.
Cette démarche[3], cette marche, cette forme de dévotion qu’est le pèlerinage, a pris, dans le monde chrétien (occidental évidemment puisque le monde – et le christianisme – était à l’époque quasi exclusivement centré sur l’Occident) une grande importance à partir du VIIe siècle[4]. Pour Dominique Lormier, « le pèlerinage[5] n’est pas conquête et acquisition, mais dépouillement intérieur et libérateur »[6].
« Les pèlerinages locaux se développèrent un peu partout sur nos terres au XIe siècle. »[7].
Dans nos régions, existent (ou ont existé) des dizaines de lieux de pèlerinage, plus ou moins courus, qui ont fait l’objet d’une dévotion plus ou moins longue. Les lieux qui possédaient une relique étaient souvent le but d’un pèlerinage comme les endroits où on pouvait prier un saint pour obtenir une guérison ou une autre faveur. Certains lieux de pèlerinage attiraient de bien loin, d’autres avaient une vocation locale, rassemblant essentiellement des pèlerins des paroisses avoisinantes. Il en est ainsi, pour Barchon de la chapelle de Lourdes à Booze, le long du Bolland[8], ruisseau qui sépare Barchon de Blegny, qui « était la sortie obligée de l’après-midi du 15 août, fête de l’Assomption de la Vierge. »[9]
Ce pèlerinage rassemblait les paroisses de Barchon, Blegny et Housse.
D’autres lieux ont été aujourd’hui oubliés dans le cadre de « la concentration des pèlerinages autour des grands sanctuaires où s’opère une uniformisation des rites et des pratiques sous le contrôle étroit du clergé »[10]. Enfin, il ne faut pas oublier de faire mention de récits de pèlerinage vers des lieux lointains, comme Jérusalem[11], Rome ou Compostelle.
En réponse à la réforme protestante, l’église va cependant connaître de profondes transformations concrétisées dans les textes du concile de Trente qui se déroulera entre 1545 et 1563 :
« A la différence de l’Église médiévale qui privilégiait la dévotion, les pèlerinages et les processions, l’Église issue du concile de Trente va privilégier la confession et la prédication, caractérisées par le confessionnal et par la chaire (une estrade d’où le prêtre, lors des offices, s’adresse aux fidèles). »[12]
L’église va également et progressivement affirmer son pouvoir et son contrôle sur la société. C’est dans ce cadre que les processions vont se développer ; elles sont, comme le pèlerinage, un phénomène religieux[13], l’expression d’une foi populaire ; mais elles sont cependant aussi une expression généralement plus collective que les pèlerinages : elles sont organisées sous la responsabilité de l’évêque et du curé de la paroisse, elles ne sont pas du tout une démarche personnelle comme peuvent l’être les pèlerinages. Jean-Pierre Lambot[14] distingue la procession du pèlerinage par le déplacement que suppose le pèlerinage, une procession pouvant elle-même faire l’objet d’un pèlerinage. Un de nos témoins, le diacre accompagnant la procession de Barchon et qui a été un des principaux organisateur du pèlerinage du diocèse de Liège à Lourdes pense que « pèlerinage et procession sont du même ordre; mais avec un temps beaucoup plus court pour la procession qui revient à l’église dont elle est partie. »[15]. Cette opinion est partagée par Éric De Beukelaer, vicaire épiscopal du diocèse de Liège :
« Procession et pèlerinage sont du même ordre : une procession est citadine (ou villageoise) et courte. Le pèlerinage est du même ordre sauf que, là, c’est une période longue »[16]
Cette volonté de contrôle de la mobilité était partagée par le pouvoir politique (entre autres en Espagne, en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie) qui édictent des lois et des règlements pour « restreindre l’entrée, la sortie ou le passage des pèlerins de même [pour] réduire de manière drastique le nombre des lits d’hôpitaux qui leur étaient réservés »[17]. Et la Réforme va également développer le pèlerinage proche au détriment des pèlerinages lointains.
La procession comme moyen d’expression d’une communauté est très ancienne ; elle précède même l’ère chrétienne.
« Il n’est point de peuple, dit Millin, dans son Dictionnaire des Beaux-Arts, chez lequel les processions n’aient été en usage. Comme toutes ont une cause et un but différents, les cérémonies devaient être aussi différentes. Les monuments nous en ont conservé quelques-unes. »[18].
Ces processions accompagnent le triomphe d’un grand homme ou bien le transfert de son corps ou de ses cendres quand il était décédé. Elles pouvaient donc être profanes comme faire partie du culte d’une divinité. La procession était également un moyen d’affirmer un pouvoir, de montrer la sujétion d’une paroisse envers une autre, par exemple par l’obligation faite à une paroisse (ou à son curé) de rendre processionnellement visite, à des moments défis, à la paroisse dont elle dépendait ou par l’obligation faite à une paroisse de participer à la procession d’une autre, par exemple de la cathédrale[19].
Les processions chrétiennes datent sans doute de l’ère de Constantin[20] et furent progressivement instaurées, entre autres par certains papes. Notons que certaines de ces processions furent organisées à l’occasion de graves catastrophes, comme la peste, la procession étant une manière de demander à Dieu de faire cesser cette calamité.
Il faut sans doute replacer dans la dynamique de l’augmentation du pouvoir de l’Église l’instauration le 8 septembre 1264 par le pape Urbain IV[21] de la Fête-Dieu[22], fête du Saint-Sacrement, dont l’idée initiale fut impulsée par une Liégeoise, Julienne de Cornillon, soutenue dès le début par le prince-évêque de Liège Robert de Thourotte qui avait instauré en 1246, pour son diocèse, cette fête qui se célébrait particulièrement en l’église Saint-Martin. Lors de cette fête, pour la solenniser, une procession était organisée[23] et a pris une très grande importance, et pas seulement dans nos contrées. C’est d’ailleurs encore de l’église Saint-Martin[24] que part la procession du Saint-Sacrement qui a été réinstaurée au sein du diocèse de Liège par Éric De Beukelaer quand il était curé-doyen du centre-ville de Liège.
Jean Delumeau a décrit le début de la période moderne comme « une civilisation de la procession[25] ».
La réforme catholique du XVIIe siècle, entre autres portée par le Concile de Trente, a fait naître diverses manifestations religieuses comme les processions du Saint-Sacrement, les processions liées à la fête de la dédicace de l’église ou à la kermesse[26], les processions des pénitents[27], les processions à l’occasion des fléaux, etc.[28] Le Concile de Trente va positionner l’Église dans une perspective de (re)conquête qui atteindra nos régions à la fi n du XVIe et au début du XVIIe siècle. De cette époque datent aussi de grandes calamités comme la peste. C’est à ce moment que naissent beaucoup de pèlerinages et de processions.
« Ces deux dynamiques, ecclésiale et populaire, se rencontrent, s’interpénètrent, se fécondent mutuellement. La première christianise la seconde. La seconde sacralise la première. »[29]