Ouvrard

L’armée est également le sujet principal de ce genre comique typique de la fin du XIXème siècle :
« Il est difficile aujourd’hui de se faire une idée de ce que pouvait être un comique-troupier au début du siècle dernier ; difficile de s’imaginer une foule venue entendre un chanteur pousser la romance, un autre entonner des morceaux de bravoure, des dames en robes de soirée roucouler des chansons d’amour mais qui se levait pour applaudir à tout rompre ; un comique, vêtu d’un costume pseudo-militaire (les bottes souvent dessinées sur les bas de pantalons), seul en scène, qui bougeait à peine et qui racontait des histoires de caserne, de  problèmes vestimentaires ou de petites amies laissées derrière, au village.

Le premier en ligne ce ces tourlourous – c’est ainsi que l’on les appelait – fut un certain Ouvrard. – Ouvrard, père, car il a eu un fils qui suivit ses traces jusqu’en… 1970.
Le plus connu (de nos jours) s’appelait Bach, si connu et si célèbre que l’on se souvient encore de sa « Caissière du Grand-Café« , de son « Ami Bidasse » (Paroles de Louis Bousquet – Musique d’Henri Mailfait, qui interprétée par Bach et Polin, 1914) et de sa plus grande création : « Quand Madelon » (un article y sera consacré).

 

Paroles
Quand j’suis parti avec ma classe
Pour v’nir ici faire mes trois ans
Mon cousin m’dit : « Ya l’fils Bidasse
Qui va dans le même régiment,
Tu devrais faire sa connaissance. »
J’ai fait comme avait dit l’cousin
Et depuis que je sers la France
Bidasse est mon meilleur copain.
Quand on n’a pas eu de punition,
On a chacun sa permission
Refrain
Avec l’ami Bidasse
On ne se quitte jamais,
Attendu qu’on est
Tous deux natifs d’Arras-se,
Chef-lieu du Pas de Calais
On a chacun la sienne
Et les bras ballants
Devant les monuments
Oh ! (commentaires ad lib, parlés)
Dans les rues on se promène
Ça nous fait passer le temps
Dimanche matin y a des bobonnes
Qu’elles s’en vont faire leur marché
Nous, on en connaît deux mignonnes
Et on va les regarder passer
Pendant qu’elles sont chez la fruitière
De sur l’autre trottoir nous les regardons
Puis de loin sans en avoir l’air-e
On les suit jusqu’à leur maison
Elles se méfient pas, elles n’y voient rien
Ça fait comme ça… on s’amuse bien
 
Refrain
Avec l’ami Bidasse
On ne se quitte jamais,
Attendu qu’on est
Tous deux natifs d’Arras-se,
Chef-lieu du Pas de Calais
On a chacun la sienne
Et quand elles sont dans
Leur appartement
Oh ! (commentaires ad lib, parlés)
On regarde les persiennes
Ça nous fait passer le temps
On va souvent voir les gorilles
Au Jardin des Plant’s, c’est curieux
Devant la cage à la cocodrille
On va passer une heure ou deux
Devant les singes qui font la grimace
Pour sûr on a des bons moments
Oh ! (commentaires ad lib, parlés)
Jusqu’à ce que le gardien passe
Qui crie : On ferme ! … Allez-vous en…
Et comme on peut pas rester là
On dit… Tu viens ? … et on s’en va…
Refrain
Avec l’ami Bidasse
On ne se quitte jamais,
Attendu qu’on est
Tous deux natifs d’Arras-se,
Chef-lieu du Pas de Calais
Et plus tard dans la vie
On dira souvent :
(parlé) »Vrai… au régiment, t’en souviens-tu, Bidasse ?
On a fait des orgies… On a bien passé le temps.

Polin

Beaucoup d’interprètes ont débuté en comique-troupier – ce fut le cas, entre autres, de Fernandel et Georgius ne dédaigna pas le genre – mais ils ne s’y sont pas attardés. – Dans le lot, il y en a eu un, cependant, qui a dépassé tout le monde et celui-là fut Polin. Henri Lyonnet, le célèbre historien et critique, disait de lui qu’il était finaud et pudique, qu’il savait esquiver le mot scabreux sans perdre une intention, qu’il n’insistait jamais plus qu’il n’en fallait sur un effet, que son art était tout en nuances et qu’il était servi par une voix ni trop forte, ni trop étendue mais qui était d’une extrême souplesse »
 

« La caissière du grand café »

(Paroles de Louis Bousquet – Musique de Louis Izoird, Chanson créée par Bach, 1914)

Cette chanson, du répertoire de deux grands interprètes, Polin et Bach – et que Fernandel n’hésita pas à ajouter au sien -, est bien connue et ce n’est pas rare, lorsqu’un chanteur entame son refrain, que ceux qui l’écoutent disent avec lui : « Elle est belle, elle est mignonne / C’est un’ bien jolie personne… ») sauf que le tout s’arrête généralement après ses deux vers … Cette chanson a été composée à Grenoble, par Bach lors de sa mobilisation au 140ème régiment d’infanterie. Elle deviendra un autre classique des tranchées aux côtés de la Madelon… et de Titine qui les rejoindra en 1917.

Paroles
V’là longtemps qu’après la soup’ du soir,
De d’ssus l’banc ousque je vais m’asseoir,
Devant une femme, une merveille,
Qu’elle est brune et qu’elle a les yeux noirs.
En fait d’femm’s j’m’y connais pas des tas,
Mais je m’dis en voyant ses appâts :
Sûrement que des beautés pareilles,
Je crois bien qu’y en a pas.
Refrain
Elle est belle, elle est mignonne,
C’est un’ bien jolie personne,
De dedans la rue on peut la voir
Qu’elle est assis’ dans son comptoir.
Elle a toujours le sourire,
On dirait un’ femme en cire
Avec-que son chignon qu’est toujours bien coiffé,
La belle caissière du Grand Café.
Entourée d’un tas de verr’ à pied,
Bien tranquill’ devant son encrier,
Elle est d’vant la caisse, la caissière,
Ça fait qu’on n’en voit que la moitié.
Et moi que déjà je l’aime tant
J’dis : « Tant mieux, qu’on cache le restant,
Car, si je la voyais tout’ entière,
Je d’viendrais fou complètement. »
Refrain
Elle est belle, elle est mignonne,
C’est un’ bien jolie personne,
Et quand j’ai des sous pour mieux la voir
Je rentre prendre un café noir
En faisant fondre mon suque
Pendant deux, trois heur’s je r’luque
Avec-que son chignon qu’est toujours bien coiffé,
La bell’ caissièr’ du Grand Café.
 
C’est curieux comme les amoureux
On s’comprend rien qu’avec-que les yeux,
Je la regarde, elle me regarde,
Et nous se regardons tous les deux.
Quand ell’ rit, c’est moi que je souris,
Quand j’souris, c’est elle qui me rit,
Maintenant je crois pas que ça tarde
Je vais voir le paradis.
 
Refrain
Elle est belle, elle est mignonne,
C’est un’ bien jolie personne,
Pour lui parler d’puis longtemps j’attends
Qu’dans son café y ait plus d’clients.
Mais j’t’en moqu’, c’est d’pire en pire
J’crois qu’c’est ell’ qui les attire,
Avec-que son chignon qu’est toujours bien coiffé
La bell’ caissièr’ du Grand Café.
 
N’y tenant plus, j’ai fait un mot d’écrit,
J’ai voulu lui donner aujourd’hui
Mais je suis resté la bouche coite,
Et je sais pas qu’est c’qu’elle a compris
En r’gardant mon papier dans ma main.
Ell’ m’a dit, avec un air malin :
« Au bout du couloir, la porte à droite,
Tout au fond vous trouv’rez bien. »
Refrain
Elle est belle, elle est mignonne,
C’est un’ bien jolie personne,
Voilà qu’elle m’envoie aux cabinets
C’est vraiment pas ça qu’j’attendais [*]
Maint’nant ell’ veut plus que j’l’aime,
Mais j’m’en moqu’, j’l’aim’rai quand même
Et j’n’oublierai jamais le chignon bien coiffé
D’la bell’ caissièr’ du Grand Café.