Le dernier bourgmestre de Cheratte
par Francis Theunissen
Réécriture : Cécile Lensen
Marcel Levaux est né le 19 juillet 1926 et, comme il aimait le dire avec humour : lui, était un enfant « naturel » (c’était inscrit sur sa carte d’identité), c’est-à-dire un enfant né de père inconnu.
Il vit dans un milieu extrêmement modeste et connaît une enfance dénuée de tout confort. Il fut élevé, dans un premier temps, par sa grand-mère à Wandre, puis ensuite partagea son éducation entre sa maman et une tante sur les hauteurs de Cheratte dans le Quartier de Hoignée.
Ses études primaires achevées, il rejoint l’école technique de Herstal durant 3 années. Malgré ses dispositions intellectuelles. Sa soif de culture et l’appétit d’apprendre qu’il conservera toute sa vie, ii doit quitter l’école pour travailler comme ouvrier traceur au chantier naval de l’île Monsin.
Il a 14 ans lorsque la guerre éclate. Mais dès 1941, il rejoint la cellule communiste clandestine du chantier naval et entre dans la Résistance. Il y mènera des missions d’espionnage au profit des Britanniques, commettra des actes de sabotage et diffusera la presse clandestine.
Cette période pour ce jeune adolescent comportera plusieurs épisodes marquants:
- L’arrestation par la police allemande, en 1943, de son ami Serge Krawczyk: alors qu’ils avaient pour mission de faire le guet lors d’une réunion de résistants au charbonnage de la petite Bacnure à Herstal et suite à une dénonciation de « collabos ». Serge fut arrêté et emmené vers la prison de la Citadelle où il fut exécuté. Il avait 17 ans, comme Marcel, et repose aujourd’hui dans « L’enclos des Fusilles ».
- Marcel participe avec 3 autres résistants dont Nicolas Dossin au hold-up de la poste de Visé où ils ne devront leur salut qu’en trouvant refuge chez le photographe Nelissen
- Le soir du 30 avril 1944, avec Jacques Dortu, responsable du Front de l’indépendance pour le Pays de Herve, et deux autres résistants cherattois, Gérard Spit et Noel Gillon dit « Maïtou», ils hissent au-dessus de la tour de la Belle Fleur un drapeau soviétique, en hommage aux prisonniers russes qui travaillent dans la mine de Cheratte et un drapeau belge qui leur a été donné par les Anciens Combattants de Wandre. En piégeant l’accès au sommet de la tour, cela a permis aux drapeaux de flotter toute la journée du 1er mai et ainsi être visibles par toute la vallée.
- A la Libération, avec d’anciens résistants, il décide d’aller réquisitionner des vaches en Allemagne pour dédommager les paysans Cherattois. Arrêté par les Américains sur la route d’Aix la Chapelle, il est à deux doigts d’être exécuté comme pillard.
En février 1945, il se porte volontaire pour poursuivre la lutte contre le nazisme en Allemagne et sa conduite lui vaut une série de décorations.
A la fin de la guerre, à 19 ans, il reprend son travail au chantier naval où il se lance dans le syndicalisme. Il fait ensuite un passage à la FN Herstal mais est licencié en 1949 pour son engagement communiste.
En 1951, il devient permanent au Parti Communiste et épouse la fille d’un immigré polonais, Maria Krawczyk (sœur de son défunt ami Serge), avec qui il aura une fille Jocelyne en 1954.
Durant les armées 60, il eut un rôle particulièrement actif en soutenant la lutte pour l’indépendance en Algérie.
Il rencontre ensuite Patrice Lumumba avec qui il entretiendra une amitié et une correspondance suivie en vue de l’indépendance du Congo. Avant que ce dernier ne soit lâchement assassiné avec la complicité des services secrets occidentaux.
Il participe également aux grandes grèves de 60 en plaidant la cause des ouvriers et ouvrières en soutenant leurs revendications et en les aidants matériellement. Après avoir rempli divers fonctions au sein du PC dont celle notamment de directeur du Drapeau Rouge, il deviendra Député de 1968 à 1981.
Très assidu, il intervient souvent, dépose des amendements, des propositions de lois et des résolutions qui relayent les revendications ouvrières ou démocratiques, comme la semaine des 36 heures et la pension à 60 ans, ou encore le droit de vote et d’éligibilité des immigrés aux élections communales.
Il proposera également de supprimer l’exclusion des femmes de la succession au trône, qui sera admise plus tard. La taxe sur la force motrice fut aussi un de ses chevaux de bataille et cette dernière permit à bon nombre de communes de bénéficier d’un apport d’argent dont elles avaient bien besoin. En 1970, il devient, après bien de palabres et à la surprise générale, Bourgmestre de Cheratte, et cela jusqu’en 1976, date de la fusion des communes.
La proximité avec ses citoyens, son esprit d’ouverture, son inlassable goût du travail ainsi que sa diplomatie, lui valurent la réputation d’un excellent Bourgmestre dont la popularité s’est largement accrue au cours de son mandat. Il restera donc, à tout jamais le dernier bourgmestre de Cheratte!
A partir de 1976, il devient Conseiller communal au sein d’une liste de gauche défendant les intérêts wallons (avec Jean Lecercq) et où, dans l’opposition, il adoptera toujours une attitude constructive appréciée par la plupart des membres du Collège et du Conseil communal.
En 1994, Marcel m’incite à lui succéder au sein du Conseil et, grâce à ses précieux conseils et sa sagesse, ce mandat se prolonge encore aujourd’hui. Des principales qualités que possédaient Marcel, et qui me semblent plutôt rares chez de nombreux hommes politiques, je retiendrai celles-ci particulièrement:
- Celle d’un homme qui tenait tout d’abord compte des qualités de ses interlocuteurs plutôt que de ne voir et de ne considérer que leurs défauts, et cela y compris chez ses adversaires politiques.
- Celle d’un homme qui savait analyser et reconnaître les erreurs du passé afin d’aborder l’avenir d’une autre manière.
- Celle d’un autodidacte à l’esprit ouvert, féru de culture, et qui savait mettre les hommes de son entourage en valeur tels que Jean Donnay, Marcelle Martin, Jeanne Houbard, Mittéï, François Walthéry, les frères Van Linthout, Abel Braham, Pierre Veijans …
Député Bourgmestre de Visé, avait employé les mots de « communiste humaniste » lors du décès de Marcel Levaux, cela exprimait bien la façon dont il était perçu, y compris dans le milieu libéral.